La hausse des coûts de financement, un nouveau défi pour les fonds immobiliers

Après plusieurs années de baisse constante des taux, et même parfois la possibilité d’emprunter à un taux négatif, l’augmentation des coûts de la dette entraîne de nouvelles difficultés pour les fonds immobiliers – et de nouveaux risques pour les investisseurs.

Le 18 décembre 2014, la Banque nationale suisse (BNS) a tenté une grande expérience : elle a adopté des taux d’intérêt négatifs avec effet immédiat pour réagir à la suppression du cours minimal par rapport à l’euro et à la stabilisation du taux de change. Grâce aux taux d’intérêt en chute libre, allant jusqu’au négatif, les fonds immobiliers ont pu se refinancer à des conditions toujours plus avantageuses. Dans certains cas, la souscription d’emprunts leur a même procuré un intérêt créditeur. Par la même occasion, les coûts d’intérêt minimes ont offert la possibilité au secteur immobilier d’effectuer des achats et des projets plus risqués, mais aussi d’appliquer des stratégies de financement plus osées. Comme le montre l’illustration 1, la BNS a mis un terme à son expérience en septembre dernier, avec un relèvement exceptionnel de 0.75% qui a hissé le taux directeur à 0.25%. Ce taux s’établit actuellement à 1% et, d’après les prévisions, il devrait à nouveau être augmenté de 25 à 50 points de base dès le mois de mars 2023.

Stratégies de financement variées

La montée des taux frappe les fonds immobiliers à différents degrés selon leur type de financement, c’est-à-dire, d’une part, la proportion de capitaux d’emprunt qu’ils utilisent dans leurs activités et, d’autre part, la structure de ces capitaux.  À la différence des sociétés anonymes, la réglementation impose un plafond maximal d’un tiers d’endettement aux fonds immobiliers. Pour les fonds du SXI Real Estate Funds Broad Universum, la part pondérée en valeur actuelle s’élevait à 23% à la fin janvier. Certains fonds n’ont pas pleinement mis à profit la part autorisée par le passé et ils ont donc subi un effet de levier moindre. D’autres ont délibérément maintenu un endettement élevé, aux alentours de 30%, et financé pratiquement tous leurs besoins à court terme. Ainsi qu’on peut le constater dans l’illustration 2, quelque 56% des composants de l’indice présentent un endettement compris entre 20 et 25%. Sept fonds, soit 6% de l’indice, atteignent en revanche un taux d’endettement supérieur à 30%. Grâce à l’effet de levier, ils ont donc récolté un rendement intéressant sur leurs capitaux propres malgré l’érosion des rendements immobiliers.

Les fonds en cours de constitution ont parfois été amenés à se financer à court terme afin de préserver leur flexibilité pour de nouvelles acquisitions. De surcroît, les agios élevés du passé permettaient aux fonds de faire redescendre systématiquement leur endettement croissant au moyen d’augmentations de capital – en particulier, après une période d’activités d’acquisition intenses. Cette stratégie n’est toutefois plus possible avec des agios faibles ou même négatifs dans certains cas. Face à un accès plus difficile aux capitaux propres, les fonds doivent en outre gérer leurs obligations de paiement plus prudemment, et surtout, dans un souci d’anticipation, pour ne pas être contraints de réduire les dividendes ou de vendre des biens.

Conséquences des coûts d’intérêt accrus

Les coûts d’intérêt plus lourds se font d’ores et déjà ressentir dans les premiers comptes semestriels et annuels, comme le fait apparaître l’illustration 3. L’ampleur de l’augmentation des coûts pour les fonds immobiliers dépend de la durée résiduelle des financements externes. Plus cette durée est longue, plus un fonds est « protégé » contre la hausse des taux. Une grande diversité peut également être observée parmi les fonds à cet égard, allant de quelques mois à près de six ans.

Pour les investisseurs, la question se pose instamment de savoir comment les coûts d’intérêt accrus influenceront les revenus à l’avenir et, partant, la base des dividendes.

La bonne nouvelle est que grâce à un recours modéré à l’endettement, cette catégorie de placement est bien positionnée pour résister au renversement de la tendance des taux. Comme le montre l’illustration 4, la structure est composée en moyenne d’un tiers d’emprunts à court terme, un tiers à moyen terme et un tiers à long terme, ce qui se traduit par une durée résiduelle de 3.3 ans pour des coûts moyens de 0.6% à ce jour.

<1 an

1–3 ans

3–5 ans

5–10 ans

10+ ans

Total

38.6%

14.7%

15.0%

29.7%

2.0%

3.2 ans

0.5%

0.9%

0.7%

0.7%

0.3%

0.6%

D’après nos études, en supposant que le taux de refinancement s’élève à 2% pendant les trois prochaines années et que tous les autres paramètres des comptes de résultat demeurent « ceteris paribus », la charge d’intérêt supplémentaire représentera une part de 3.5% des loyers ou 6.4% du cash-flow opérationnel dans 12 mois et 4.4% des loyers ou 8.1% du cash-flow opérationnel après trois ans. Dans ce scénario, environ la moitié des fonds maintiennent leur distribution opérationnelle en deçà de 100% et pourraient donc conserver leurs dividendes au niveau actuel. Une analyse plus détaillée doit être réalisée pour l’autre moitié.

Une quote-part de distribution dépassant 100% ne signifie pas nécessairement que les dividendes doivent être diminués. Deux questions se posent dans cette hypothèse : cette quote-part est-elle uniquement due à des facteurs temporaires, comme un décalage dans la perception des revenus locatifs dans l’attente de l’achèvement de projets de construction, ou des pertes de loyers sur des biens qui ont à nouveau été loués entretemps ? Si, par contre, cette quote-part élevée ne s’explique pas par des circonstances opérationnelles temporaires, comment les dividendes non couverts dès ce stade peuvent-ils être compensés ? 

Concrétisation de potentiels d’augmentation des loyers

À court terme, les fonds peuvent recourir à l’astuce cosmétique de la dissolution de réserves bénéficiaires pour rehausser leur rendement net et maintenir ainsi leurs dividendes alors qu’ils ne sont plus couverts à cause des taux d’intérêt accrus. Étant donné qu’une compensation s’impose au travers d’emprunts supplémentaires, ils ne peuvent néanmoins appliquer ce procédé qu’à hauteur du taux d’endettement maximal. Or, il est plus durable d’augmenter les loyers. Dans le domaine de l’immobilier résidentiel, ce sera théoriquement le cas au plus tard à partir de 2024, à la faveur du relèvement du taux d’intérêt de référence, même si les baisses avaient également été répercutées à chaque fois par le passé. De plus, les loyers peuvent être majorés de 40% du renchérissement dans un contexte d’inflation galopante. Pour la plupart des baux indexés, qui représentent la majorité des contrats conclus pour les surfaces commerciales, le renchérissement peut même être imputé jusqu’à 100%. En pratique, l’adaptation n’est toutefois pas si facile, car les spécificités locales doivent être prises en considération, à commencer par l’équilibre de l’offre et de la demande et le niveau des loyers du marché dans chaque région.

Conclusion

Après plusieurs années de coûts d’intérêt de plus en plus bas et d’accès facile à des capitaux propres, les fonds immobiliers sont aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis. Leur priorité ne doit plus être l’ingénierie financière, mais la discipline des coûts. De leur côté, les investisseurs doivent mener des analyses approfondies et examiner l’évolution probable des revenus des sociétés de fonds face à la hausse des coûts pour s’éviter de mauvaises surprises. Dans notre approche de gestion active des portefeuilles, nous avons identifié trois catégories distinctes : les gagnants sont ceux qui bénéficient de revenus gonflés par l’inflation soutenue et les coûts de financement modiques en raison de stratégies de financement défensives ; les perdants sont ceux dont les coûts de financement s’emballent sans qu’ils puissent les contrebalancer par des recettes supplémentaires ; et au milieu se trouvent ceux dont le niveau des revenus peut compenser, en tout ou en partie, la flambée des coûts de financement.

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